110012 SE Literature Seminar (BA) - French (2015S)

« Un classique est un livre qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire » : c'est ce qu'affirme Italo Calvino dans son célèbre essai « Perché leggere i classici » (1981) à propos de ces mêmes classiques qui, toujours selon Calvino, « nous servent à comprendre qui nous sommes et où nous en sommes arrivés ». Mais pourquoi non seulement lire, mais aussi réécrire les classiques ? Dans le cadre de ce séminaire BA, nous réfléchirons sur cette question-là à partir de l'un des grands classiques français : « La Princesse de Clèves » (1678) par Mme de Lafayette, considéré comme le premier roman moderne de la littérature française. Depuis plus de trois siècles, la « Princesse » - à la fois roman d'initiation, grand roman d'amour, « grand roman politique » (M. Darrieussecq) - n'a cessé d'engendrer de nouveaux discours théoriques (« Un classique est une oeuvre qui provoque sans cesse un nuage de discours critiques, dont elle se débarrasse continuellement », note Calvino) et d'inspirer de nombreuses réinterprétations littéraires (et, depuis la seconde moitié du XXe siècle, aussi plusieurs adaptations cinématographiques).
Après une discussion approfondie du texte de Lafayette sous divers aspects (analyse narratologique, contexte historique et littéraire, réception critique à travers les siècles, diverses approches théoriques, etc.), nous étudierons de près quelques hypertextes modernes et postmodernes, à savoir, « Le Bal du comte d'Orgel » (1924) par Raymond Radiguet, roman écrit d'après le modèle de la « Princesse », ainsi qu'un « remake » contemporain, « Clèves » (2011) par Marie Darrieussecq - et, enfin, la suite de « Clèves », « Il faut beaucoup aimer les hommes », roman « cinématographique » couronné, en 2013, par le prix Médicis.
Il s'agira de situer ces réécritures post/modernes par rapport au roman lafayettien, d'analyser leurs stratégies de transformation hypertextuelle et les respectifs contextes historiques, culturels, sociaux et philosophiques (évolution des notions morales, de la conception de l'amour et du mariage, des rapports entre les générations et des rôles de genre, de la position de l'individu face à la société et à la fatalité, entre prédestination et liberté...) ; nous nous poserons aussi la question de savoir si - et si oui, dans quel sens - ces textes postérieurs viennent enrichir à leur tour notre perception et compréhension du prétexte classique.
« La Princesse de Clèves », enfin, invite aussi à quelques réflexions sur la réinterprétation d'une oeuvre classique dans un nouveau contexte politique. Dans la première décennie du XXIe siècle, le roman de Lafayette est redevenu un véritable best-seller en France ; renaissance remarquable - et fort politisée : suite à plusieurs invectives publiques de Nicolas Sarkozy contre la « Princesse », celle-ci ne tarde pas à se transformer en « porte-drapeau de l'anti-sarkozysme » (P. Assouline), symbole-clé de la résistance à la politique gouvernementale. À part manifestations, lectures marathon, parodies littéraires et musicales, etc., l'affaire "Une Princesse contre le Président" (H. Merlin-Kajman) donne aussi lieu à des réponses artistiques plus nuancées, dont le film « La Belle Personne » (2008) par Christophe Honoré. "Nous, princesses de Clèves" (2010/11), documentaire par Régis Sauder, illustre à son tour l'actualité de « ce livre hyper contemporain » (M. Darrieussecq) ; une brève présentation et discussion de ces deux films viendra clore notre voyage littéraire avec « La Princesse de Clèves » à travers les siècles.